La créance de salaire différé
Pendant sa jeunesse, Pierre a travaillé à temps plein sur l’exploitation familiale. En aidant son père, il a pu apprendre le métier et se familiariser avec la gestion administrative de l’exploitation. Aujourd’hui installé à son compte, Pierre a entendu dire qu’il aurait pu percevoir une rémunération en contrepartie de ce travail, son notaire lui a même parlé d’une créance de salaire différé.
Dans de nombreuses familles d’agriculteurs, certains enfants quittent la ferme pendant que l’un d’eux continue à travailler avec ses parents dans l’exploitation familiale. Dans certains cas, celui-ci peut être titulaire d’un contrat de travail et percevoir un salaire. Dans d’autres cas, l’enfant va être directement associé co-exploitant.
Mais il peut aussi arriver que le descendant ne perçoive que des avantages en nature (hébergement, nourriture…) et une faible somme d’argent en guise d’argent de poche. Dans cette situation, le descendant travaille mais il ne reçoit aucun salaire, aucune part des résultats de l’exploitation.
Alors, au moment du règlement de la succession, cet héritier pourrait être lésé. Par son travail et ses économies forcées, l’héritage successoral a pris de la valeur sans qu’il n’en retire de contrepartie autre que son droit sur la succession, comme ses autres frères et sœurs.
Pour éviter cette situation, la loi permet au descendant qui est resté ponctuellement ou définitivement sur l’exploitation familiale de bénéficier d’une créance de salaire contre la succession. (Article L321-13 du Code rural).
Le salaire différé a pour but de rémunérer le descendant (descendant en ligne directe) qui a participé aux travaux sur l’exploitation familiale sans percevoir de contrepartie. C’est un droit patrimonial que le bénéficiaire doit réclamer avant tout partage entre les héritiers.
Le bénéfice du salaire différé suppose une double condition.
- Première condition : prouver une participation directe et effective à l’activité de l’exploitation après l’âge de 18 ans. La participation à l’exploitation familiale ne doit pas nécessairement revêtir un caractère permanent. Elle peut n’être que partielle et limitée mais elle ne doit jamais avoir été occasionnelle… Ainsi, des travaux agricoles ponctuels ou saisonniers ne permettront pas de solliciter un salaire différé. La jurisprudence considère ces travaux comme occasionnels.
- Seconde condition: prouver une absence de rémunération et d’association aux résultats de l’exploitation. Le descendant ne doit pas avoir été associé aux bénéfices et aux pertes de l’exploitation, ni avoir reçu de salaire en contrepartie de son travail. Selon la jurisprudence, les différents avantages en nature qui ont perçus par le descendant, tels que l’hébergement, la nourriture, l’argent de poche ne sont pas considérés comme une rémunération (ces avantages traduisent l’obligation alimentaire des ascendants).
Ainsi, la preuve de la participation à l’exploitation doit être rapportée par le descendant qui prétend bénéficier du salaire différer. Cette preuve (dont les éléments devront être précis et concordants) pourra être rapportée par tout moyens (Article L321-19 du Code rural) : production d’écrits, témoignages, aveux ou encore présomptions… En revanche, la preuve de l’absence de contrepartie peut s’avérer plus délicate à entre rapportée…
Dès lors que les conditions exposées ci-dessus sont réunies, le descendant aura droit à une rémunération en contrepartie de son travail. En principe, le droit au salaire différé peut-être sollicité après le décès de l’exploitant. Mais un règlement du vivant de l’exploitant peut intervenir via une donation-partage par exemple.
Pour les descendants, le montant annuel du salaire différé est égal, pour chacune des années de participation à partir de l’âge de 18 ans, à la valeur des 2/3 de la somme correspondant à 2 080 fois le montant horaire du SMIC en vigueur au jour du partage au jour du partage lorsque le règlement intervient après le décès de l’exploitant.
Exemple : Pierre a participé à l’exploitation familiale de ses 15 à 22 ans. S’il parvient à rapporter la preuve de la double condition exposée ci-dessus, il pourra prétendre à 4 années de rémunération au titre de la créance différée.
A noter :
- La demande de salaire différé se prescrit par 5 ans à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant décédé (article 2224 du Code civil).